A un mois d’un immense défi
Critiqués de toutes parts, le Qatar et la FIFA font le dos rond à l’heure d’attaquer la dernière ligne droite
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Coupe du monde » A un mois du Mondial 2022 (20 novembre-18 décembre), Coupe du monde la plus chère de l’histoire et événement gigantesque pour le minuscule Qatar, les ouvriers s’activent encore sur les chantiers et les organisateurs sont plus que jamais pressés de questions sur leur bilan. «Tout est prêt pour la meilleure Coupe du monde de tous les temps», a assuré le président de la FIFA, Gianni Infantino, lors d’une conférence de presse lundi.
Le dernier des huit stades a été inauguré début septembre et les camps de base attendent les 32 équipes qualifiées, à commencer par le Japon le 7 novembre. Mais, dans les rues décorées aux couleurs du tournoi et dans de nombreuses tours, les travaux se poursuivent jour et nuit. Stades climatisés, centaines de vols quotidiens pour acheminer les supporters, droits bafoués des travailleurs migrants et des personnes LGBTQ+… Les critiques aussi sont légion, relayées par les ONG, les politiques et les médias occidentaux, certains appelant au boycott.
Avec plus d’un million de visiteurs et cinq milliards de téléspectateurs prévus, la première Coupe du monde de foot dans un pays arabe et au Moyen-Orient devait être un puissant instrument au service de la notoriété du petit émirat du Golfe. Le riche Etat gazier n’a pas lésiné sur les dépenses, consacrant 6,5 milliards dollars à ses stades, 36 milliards à son métro, sans compter la construction de nombreux hôtels et l’extension de son aéroport international Hamad.
Depuis l’attribution du tournoi, en décembre 2010, les autorités qataries, les organisateurs et la FIFA, l’instance dirigeante du foot, ont surtout dû se justifier sur une kyrielle de sujets, d’apparence triviale (absence de culture sportive ou encadrement de la vente d’alcool) ou bien essentiels (accusations de corruption pour obtenir l’organisation du Mondial ou appel à constituer un fonds d’indemnisation des travailleurs des chantiers).
«Cela fait douze ans que les travailleurs et leurs familles n’ont pas été indemnisés pour les décès, les blessures et les salaires impayés. Trop de décès n’ont pas fait l’objet d’une enquête (…) Nous pouvons au moins rectifier les choses avant le Mondial», plaide Rothna Begum, de l’ONG Human Rights Watch, auprès de l’AFP.
Lundi, Infantino a salué les «réformes révolutionnaires du Qatar qui, au cours des dernières années et pour les années à venir, améliorent la vie de milliers de travailleurs» et martelé que «tout le monde sera le bienvenu, quels que soient son origine, son milieu, sa religion, son sexe, son orientation sexuelle ou sa nationalité».
La sélection dans le dur
Les médias nationaux, étroitement liés au pouvoir, ont mené une attaque concertée contre les critiques il y a une dizaine de jours. Le journal arabophone Al Sharq, par exemple, estime qu’il existe une «conspiration systématique» des médias de nombreux pays européens, «alors que ces médias ont oublié les conditions misérables subies par les travailleurs en Europe».
En Europe, la sélection qatarie, qualifiée d’office pour son premier Mondial, s’entraîne dans un quasi-huis clos depuis le mois de juin, comme l’avait fait la Corée du Sud, demi-finaliste à domicile en 2002. Pour l’attaquant Akram Afif et ses coéquipiers, vainqueurs de la Coupe d’Asie des nations en 2019, finir à l’une des deux premières places du groupe A où se retrouveront aussi les Pays-Bas, le Sénégal et l’Equateur et atteindre ainsi les huitièmes de finale serait un succès.
Or leurs derniers matchs amicaux en septembre n’ont pas été très encourageants, avec des défaites contre l’équipe des moins de 23 ans de la Croatie (3-0), le Canada (2-0) et un nul contre le Chili (2-2). «Nous sommes pleinement conscients de notre besoin de développer certains aspects tactiques et techniques qui ne se sont pas déroulés comme nous le souhaitions», a admis le sélectionneur espagnol du Qatar, Félix Sanchez, lors d’un unique entraînement en public à Doha début octobre.
Sur les pelouses foulées par Al-Annabi (le surnom de la sélection tiré de la couleur bordeaux du maillot) comme sous les lampadaires en forme de palmier de l’emblématique Corniche de Doha, l’heure est aux derniers réglages. Pour les forces de sécurité du Qatar mais aussi des renforts de pays étrangers, ce sera par exemple un ultime exercice de cinq jours à partir de dimanche. ATS/AFP
Cinq choses à savoir sur le pays organisateur
1 Petit pays et géant économique
Presqu’île du sud du Golfe, le Qatar est l’un des plus petits Etats arabes (11 571 km2). Il comptait 2,9 millions d’habitants en 2021 selon la Banque mondiale, dont la plupart sont des étrangers. Le Qatar, parmi les plus grands producteurs de gaz naturel liquéfié au monde, a aussi l’un des PIB par habitant les plus élevés au monde (61 276 dollars en 2021 selon la Banque mondiale). Le pays s’est hissé sur la scène internationale par des investissements tous azimuts, réalisés le plus souvent par son fonds souverain, le Qatar Investment Authority, l’un des plus importants du monde.
Sa filiale Qatar Sports Investments (QSI) est propriétaire du club de football du Paris Saint-Germain (PSG) et du KAS Eupen, club de première division belge. Elle a annoncé le 10 octobre dernier qu’elle allait acquérir 21,67% du club portugais du Sporting Braga.
2 Dynastie Al-Thani
Pays conservateur musulman, gouverné par la famille Al-Thani depuis le milieu du XIXe siècle, le Qatar avait refusé d’être intégré à la fédération des Emirats arabes unis en 1971 lors de son indépendance, après 55 ans de protectorat britannique.
En 2004, la première Constitution est entrée en vigueur, maintenant toutefois l’essentiel du pouvoir entre les mains de la famille régnante. Plusieurs fois reportées, les premières élections législatives au suffrage universel direct ont eu lieu en octobre 2021, avec un collège de votants toutefois très restreint. Aucune femme n’a été élue et un tiers des membres du Parlement restent nommés par l’émir.
3 Al Jazeera et beIN Sports
Créée fin 1996, la chaîne de télévision Al Jazeera, qui dispose de près de 80 bureaux dans le monde et diffuse dans plusieurs langues, a été la caisse de résonance des mouvements du Printemps arabe. BeIN Sports, propriété du groupe audiovisuel qatari beIN Media depuis la cession de ses chaînes sportives par Al Jazeera, a commencé à émettre en 2012 en France, qui fut sa porte d’entrée sur le marché mondial.
4 Diplomatie du sport
Avant le Mondial 2022, le pays a construit sa visibilité sportive mondiale par l’organisation d’autres compétitions internationales: Jeux asiatiques de 2006, Jeux panarabes de 2011, Coupe d’Asie des nations de football la même année, championnat du monde masculin de handball en 2015, Mondiaux d’athlétisme en 2019.
5 Allié des Etats-Unis
Début 2022, Joe Biden a fait du Qatar le 18e pays désigné comme «allié majeur hors Otan» des Etats-Unis. L’émirat accueillait déjà la plus grande base militaire américaine dans la région. Le pays avait joué le facilitateur dans les échanges entre Américains et talibans, désormais au pouvoir en Afghanistan, et a fortement contribué aux opérations d’évacuations après la chute de Kaboul en août 2021.
ATS/AFP
Genève renonce à sa fanzone
A Genève, les amateurs de football ne pourront pas se réunir à la Fanzone de la plaine de Plainpalais pour assister aux matchs de la Coupe du Monde de football, qui se tient du 20 novembre au 18 décembre au Qatar. La société Nepsa, qui devait organiser la manifestation, a en effet décidé d’annuler la tenue de l’événement.
La polémique autour du Mondial au Qatar a conduit Nepsa à jeter l’éponge. «Nous avons été agressés de manière particulièrement violente sur les réseaux sociaux où nous avons reçu de nombreux messages d’insultes particulièrement virulentes», indique l’agence spécialisée dans l’événementiel, mercredi, dans un communiqué.
Ce climat délétère a «fait fuir une grande partie des exploitants et la quasi-totalité des annonceurs», rendant l’exploitation de la Fanzone impossible, note Nepsa. L’entreprise va faire face à une perte financière importante et les exploitants des stands subiront un manque à gagner. La facture devrait dépasser 2 millions de francs.
La tenue de la Coupe du Monde de football au Qatar fait l’objet d’une opposition grandissante. De nombreuses villes suisses et ailleurs en Europe ont déjà annoncé boycotter ou ne pas souhaiter organiser de Fanzone. Genève aurait été la seule ville d’envergure, en Suisse romande, à proposer une telle manifestation. La plaine de Plainpalais serait ainsi devenue très «attractive» pour les mouvements de contestation «en tout genre». ATS